On voudrait vous le dire tout à trac et dès le début. C’est un fake, totalement de l’infox mais une qui a la peau dure. Le concept circule depuis 2006. Le sexisme botanique et un mot valise séduisant qui est arrivé comme une réponse aux questions des allergiques qui vivent en ville et souffrent d’allergies respiratoires à cause des pollens d’arbres. Oui parce que dire que c’est la faute aux arbres quand même ça fait mal au coeur. Alors dire que c’est la faute à ceux qui plantent les arbres, c’est réconfortant.
Les arbres ont-ils un sexe ?
Oui les arbres ont un sexe. Mais seulement 5 % des arbres sont dioïques c’est à dire monosexués. Ils sont ou mâle ou femelle et c’est tout. On peut citer par exemple le kiwi, le pistachier, les saules, l’argousier, le ginko biloba, le houx, pour les plus connus. C’est difficile de se reproduire dans ces conditions parce que si on n’a pas de partenaire il n’y a pas de propagation des gènes. Alors 80 % des arbres sont plutôt hermaphrodites : ils ont des pistils et des étamines sur la même fleur. Le vent ou les insectes propagent le pollen produit en très grande quantité et hop, les graines sont fécondées.
« En ville les arbres sont des mâles choisis par des hommes «
la théorie du sexisme botanique est développée à partir de 2006 par Tom Léo Ogren qui a commis un best seller avec Allergy-Free Gardening: The Revolutionary Guide to Healthy Landscaping, jardinier et auteur à succès. L’homme s’étonne de la quantité de pollen qui va en augmentant dans les villes. Il trouve une référence dans l’annuaire de l’agriculture de l’UDSA de 1949 ,qui sera exploitée et reprise pendant 15 ans sur tous les tons. Cette mention est la suivante :
Dans les plantations de rue, seuls les arbres mâles doivent être sélectionnés, pour éviter la nuisance des graines.
En fait, l’article fait référence aux seuls peupliers. Mais sorti de son contexte, l’histoire prend du champ, du corps et de l’amplitude. Et voilàti pas que soudain, tous les arbres des villes sont accusés d’être des MÂLES qui inondent de leur semence (de leur pollen donc) les pauvres citadins harcelés de symptômes allergiques. Les architectes paysagistes et les urbanistes qui voudraient surtout plaire aux élus consignent des recommandations de plantation d’arbres mâles pour générer moins de nettoyage de voirie. Mais en fait on ne trouve ces recommandations nulle part, sauf dans les tweets des gens qui s’insurgent de ce sexisme botanique.
Nous sommes en Amérique. Donc, l’histoire fait trois fois et demi le tour de la Terre en passant par les associations féministes, les médias. Pour devenir une légende urbaine qui dure encore. Ce sont deux mots qu’on adore et qui sont les mots clés préférés des internautes : sexisme et botanique (ou jardinage). Collez secouez, vous avez un concept qui s’inscrit dans une culture à fleur de peau sur le sujet de la place de la femme dans l’univers des hommes.
Pourquoi les allergies en ville augmentent alors ?
Parce que du pollen, il y en a beaucoup plus, c’est VRAI. Mais en ville, c’est d’abord les pollens de graminée le gros souci. Ils sont tout petits on ne les voit pas beaucoup et il pénètrent profondément dans les bronches. Comme le pollen d’arbre est souvent anémophile (transporté par le vent) il est gros et lourd. Et donc visible alors c’est plus facile de l’incriminer. Mais les allergiques le sont aussi à des pollens d’arbres, il ne s’agit pas d’en cacher la forêt.
Le climat change et devient difficile pour les arbres, sécheresse, canicule, puits de chaleur. Il faut quand même croître et multiplier c’est la génétique de l’arbre qui le commande. Alors l’arbre produit beaucoup, beaucoup, plus de pollen pour avoir une chance de se reproduire.
La pollution est irritante et encapsule les grains de pollens quand elle ne les modifie pas purement et simplement. Les conséquences pour les allergiques sont donc accrues.
Inventer la ville de demain
Les urbanistes paysagistes doivent penser la ville de demain en intégrant pas mal de nouvelles données, une pensée globale, y compris sociétale. Et ils auront beau jeu de prévoir dans leur argumentaire quelques lignes pour se défendre de tout sexisme botanique. Ca peut avoir un bel effet sur les élus crédules.
Ce qui importe c’est la diversité des arbres, en genre, en variété et en nombre. Le « un peu de tout » si cher aux sages mais tellement peu glamour parfois.
Un grand merci à Jane C. Hu qui a bien voulu partager son enquête sur Slates et qui me permet de vous parler du concept du sexisme botanique dans les pages de notre bel Oasis. Bonne année !
Aller plus loin :
L’influence des sources de pollen dans les espaces verts urbains
synergie pollens et polluants en ville
illustration wayhomestudio pour Freepik