Aujourd’hui, nous allons parler de l’allergie au lait.
Pour tous les mammifères, le lait, c’est la vie. Le sein de notre maman est la source de notre premier repas et les bienfaits de l’allaitement pour le développement harmonieux d’un petit humain ont été largement démontrés.
Idéalement, un enfant devrait être allaité 4 mois au moins.
Seulement voilà, il y a l’idéal et il y a notre vie. Une mise au sein ratée, une montée de lait qui ne se fait pas, des seins crevassés, un épuisement, une dépression en postpartum, l’organisation familiale, la reprise du travail… Il y a mille raisons qui font qu’au lieu du lait maternel, ce petit humain va recevoir un autre lait, un lait maternisé.
La maternisation est un formidable processus industriel qui permet de partir d’un autre lait de mammifère, celui de la vache le plus souvent, pour en faire une préparation nutritionnelle très proche de celui du lait de mer.
Mais voilà, les petits allergiques n’aiment pas ce qui n’est pas humain. Leur système de défense n’apprécie pas à leur juste valeur les efforts sociétaux que nous avons faits et décide que non, il n’acceptera pas de faire entrer en lui ces protéines d’une autre espèce.
L’allergie au lait de vache touche environ 5% des enfants français entre 4 et 12 mois aujourd’hui. C’est plutôt une allergie qui guérit après une phase d’éviction et une réintroduction. On aime bien les allergies qui guérissent vite et bien quand on est allergologue.
Je me souviens très bien de Ludivine. Elle avait 6 mois. J’expliquais à ses parents, très sûr de moi, que ce problème de lait était une allergie bénigne qui allait très probablement guérir rapidement. Elle a fait son premier choc 6 mois après. Et à 15 ans, elle était toujours très allergique aux protéines du lait de vache, avec des inductions de tolérance très mal passées à l’hôpital. Plusieurs autres chocs anaphylactiques, ensuite dans un contexte de divorce qui lui-même était en lien avec des approches différentes de cette allergie entre le papa et la maman.
L’allergie au lait guérit souvent, mais pas toujours.
Il y a plusieurs manières d’être allergique au lait de vache. Vous pouvez faire comme Ludivine, une allergie immédiate aux protéines du lait de vache. Vous vous souvenez ? On en a parlé dans le premier épisode. Ce sont les allergies à IGE, avec rhinite, asthme, anaphylaxie, etc. Vous pouvez aussi faire de l’allergie retardée aux protéines de lait de vache. Ça se traduit par des colites, avec parfois des saignements digestifs, un reflux, des poussées d’eczéma. Enfin, vous pouvez faire un SEIPA aux protéines du lait de vache, syndrome d’entérocolite immunitaire aux protéines alimentaires. A la consommation du biberon, il y a un retour direct dans le visage de celui qui a donné le biberon et des spasmes digestifs violents. Pour le bébé, pas celui qui donne le biberon, lui il est juste sale.
Voilà brièvement les trois formes d’allergies au lait.
Pour la deuxième et troisième forme, on ne connaît bien ni les molécules allergisantes ni le détail des mécanismes humains qui réalisent la maladie.
Il y a également les oesophagites à éosinophiles aux protéines du lait, mais là encore, nous ne les aborderons pas aujourd’hui.
Je vais vous parler de la première forme, l’allergie immédiate, parce que c’est la plus fréquente et qu’elle, on la connaît assez bien.
Les laits de mammifères contiennent différentes protéines, certaines sont responsables des allergies immédiates au lait. Si vous faites cailler votre lait de vache, il y a deux phases, le petit lait et le caillé. Les protéines allergisantes du cahier, ce sont les caséines. On s’en sert pour le fromage, la cancoillote, les yaourts, etc. Celle du surnageant, le petit lait, c’est l’alpha-lactalbumine, la bétalactoglobuline et d’autres allergènes moins fréquents comme la lactoferrine, l’albumine des immunoglobulines, la lactopéroxidase ou l’alpha-gal. Ces allergènes sont globalement stables à la chaleur jusqu’à 70 degrés. Un lait pasteurisé est toujours aussi allergisant qu’un lait frais. Au-delà, les albumines se modifient alors que les caséines résistent.
Oui, mais finalement, l’allergie au lait de vache, c’est une allergie à laquelle ?
Eh bien, c’est une allergie à une ou plusieurs de ces molécules, et le plus souvent, plusieurs. C’est une polyallergie. Les deux tiers des enfants allergiques au lait sont allergiques à deux des trois principales molécules, caséine, bétalactoglobuline ou alpha-lactalbumine, et dans nos dosages, nous ne dosons que celles-là en médecine de ville. Comme chacune d’entre elles représente autour de 50% de positivité en cas d’allergie au lait de vache, vous pouvez avoir un négatif en test sanguin et malgré tout avoir une allergie immédiate au lait dans environ 12% des cas. Si vous faites un test cutané avec le lait, vous serez nettement plus sensible dans votre dépistage.
Ok, et ça évolue comment cette allergie ?
Vanto a montré que dans 82% des cas, les enfants dont les taux d’IgE au lait de vache total étaient inférieurs à 2 kU par litre guérissaient avant l’âge de 4 ans.
Sampson a publié que la positivité aux caséines était d’un moins bon pronostic, avec une persistance plus fréquente chez l’adulte. Comme vous avez retenu que c’était dans le fromage, vous n’en voudrez pas trop à ceux qui refusent de manger du fromage, n’est-ce pas ?
Sampson, toujours, alors fait cuire des muffins, 30 minutes à 180°Celsius. Et a remarqué que ces allergiques au fromage pouvaient tout à fait supporter ces gâteaux bien cuits si leur dosage d’IgE sanguine pour les caséines était inférieur à 5 kU par litre, mais qu’un sur deux réagissait encore si ces IgE caséines étaient supérieurs à 32 kU par litre.
Vous vous souvenez de la dose seuil dont nous avions parlé dans le premier épisode ? Voilà son application pratique.
Encore plus loin dans la dose seuil, qui est la frontière entre l’allergie et la tolérance, découvrons les inductions de tolérance orale.
Les anglo-saxons ne s’embarrassent pas trop de nos subtilités sémantiques, ils appellent ça une désensibilisation orale. L’Académie européenne d’allergologie conseille de ne pas la mettre en place avant l’âge de 4 à 5 ans. Toutefois, bien souvent. En France, les parents ou les médecins la démarrent dès que quelques accidents de prise sans réaction sont survenus. ou que les taux sanguins des IgE spécifiques baissent, ou enfin que le prick-test s’est négativé. Vous avez alors droit à presque autant de protocoles que de services hospitaliers. Mais le principe reste le même. Partir de bien en dessous de la dose seuil qui déclenche les symptômes et progresser peu à peu pour ne pas avoir de symptômes. S’il y en a, on revient en arrière, on maintient la dose bien tolérée, et on réaugmente plus tard. Bien souvent en France, ça se fait sous antihistaminique.
Aux États-Unis, l’omalizumab, un anti-IgE, est désormais ajouté dans les cas sévères.
Mais alors, pourquoi essaie-t-on de reprendre le lait si vite en France alors qu’il est préconisé d’attendre 4 à 5 ans ?
Il y a plusieurs raisons à cela.
D’abord, la socialisation. Être allergique aux protéines de lait, c’est devoir le plus souvent pour la maman prendre la maîtrise complète de l’alimentation. Et si vous voulez être juste, c’est priver toute la fratrie des produits qui en contiennent. Quand arrive la scolarisation, si les traces vous font réagir, vous êtes rapidement un paria de toute activité sociale.
En 2006, Novembre, un médecin italien, a constaté que 40% des produits alimentaires vendus pour les enfants, y compris ceux qui ne contenaient pas officiellement de lait, contenaient plus de 5 mg de caséine par kilo. Les protéines du lait sont également présentes dans les cosmétiques, dans le plâtre également, et oui.
Enfin, selon les statistiques du Food Allergy Anaphylaxis Network, 40% des alertes alimentaires concernent la présence de protéines de lait dans des aliments censés ne pas en contenir.
Bref, il est urgent d’obtenir la tolérance aux protéines de lait, et les Français se sentent plus dans l’urgence que d’autres pays.
Et le lactose dans tout ça?
Rien à voir. Le lactose est un sucre du lait, pas un allergène. Alors non, vous n’êtes pas allergique au lactose, vous êtes peut-être intolérant au lactose. Dans les grandes lignes, Homo sapiens, nous, devient normalement intolérant au lactose lors du sevrage.
Certaines populations humaines gardent la capacité, un super pouvoir, de digérer et de scinder ce sucre en glucose égalactose grâce à la persistance de la production d’une enzyme, la lactase. En Europe, plus vous allez vers le nord, plus vous avez de tolérants au lactose. Plus vous descendez, moins vous en avez. 90% des Asiatiques sont intolérants au lactose et environ 60% des populations africaines.
Si pour vous cette intolérance est trop incommodante, vous pouvez acheter auprès de votre pharmacien des gélules de lactase que vous consommez quand vous ne pouvez pas éviter le lactose. Ainsi, vous n’en aurez pas les inconvénients digestifs, lourdeur, ballonnement, gaz, spasme. Les industriels proposent également des laits sans lactose, ce qui permet au quotidien de gérer ce problème facilement.
Et si on est allergique au lait, ça croise avec quoi le lait de vache ?
– Les différents laits de mammifères croisent facilement entre eux, mais les laits qui croisent le plus souvent avec le lait de vache, c’est celui de chèvre et de brebis.
– Le lait de femme est parfois également source de réactions croisées avec le lait de vache. Par contre, le lait de chamelle est le moins sujet aux allergies croisées.
– Une réaction croisée entre les albumines de l’œuf et celle du lait a été publiée, mais peu étayée.
– La réaction croisée avec le soja : c’est un serpent de mer. Elle était évoquée mais non démontrée il y a une vingtaine d’années, peut-être pour culpabiliser les parents qui cherchaient des solutions sans médecin. Elle est revenue sur la table avec des réactions aux hydrolysats poussés qui contenaient de l’huile de soja. Alors on restera sur un « peut-être », mais rarement.
– L’allergie à la viande de bœuf et de veau est par contre tout à fait étayée comme allergie croisée, avec une immunoglobuline G commune.
En résumé, l’allergie aux protéines de lait de vache, c’est fréquent, au moins à un enfant sur 20. Si elle est légère à 4 ans, plus de 80% d’entre eux seront guéris. C’est un problème sociétal chez nous car le lait est partout, de l’assiette au plafond en passant par la salle de bain. Assez rapidement, les allergologues français essaient de rétablir la tolérance pour des doses suffisantes et éviter les accidents liés à la vie en société. L’intolérance au lactose, c’est autre chose. L’incapacité à digérer un sucre du lait, c’est désagréable, contrariant, mais pas mortel. Au besoin, on peut acquérir le superpouvoir de sa digestion pour quelques euros chez le pharmacien.
Dans le prochain épisode, nous parlerons du choc anaphylactique. Merci à vous les amis, prenez soin de vous.