Aujourd’hui, nous explorons le domaine de l’allergie et des hypersensibilités. Qu’est-ce que c’est ? Quelle est la différence : c’est parti.

L’allergie touche environ 25 à 30% de la population Française aujourd’hui. Je n’ai pas trouvé la source de cette affirmation mais si l’on en croit les associations de patients et notre syndicat : l’OMS estimerait que 50% de la population mondiale sera allergique en 2050.
Bon, clairement : ça augmente et ça se voit.

Quand j’ai quitté les urgences dans les années 90 pourdevenir allergologue, le président de l’ordre des médecins (un professeur de pneumologie) m’a demandé pourquoi je quittais la médecine pour faire du psychologique. Il n’était pas seul à le penser : à l’époque, le livre de référence des gastro-enterologues, le Frexinos, écrivait, tranquille, que l’allergie alimentaire n’existe pas.
En médecine, on est pas toujours bon hein.

Pourquoi j’ai quitté les urgences pour devenir allergologue? Mon fils aîné a mangé un bout de kiwi dans l’assiette de sa mère, il avait dix mois, et quelques minutes après mon petit Bordelais s’était transformé avec un visage tout bouffi, des plaques partout et des sifflements très inquiétants.

C’est le genre de truc qui ré-oriente ta carrière.

J’ai profité de l’année du service militaire pour bosser l’immuno, passer l’examen d’entrée à la formation, l’examen de sortie et depuis, l’allergie, c’est ma vie.

Dans les années 90, Von Mutius, une médecin Allemande, a observé que les patients allergiques étaient plus fréquents en ville qu’à la campagne. Alors quand le mur de Berlin s’est effondré, elle a suivi la population d’Allemagne de l’Est qui avait peu d’allergiques et, avec l’adoption du mode de vie occidental : la prévalence des allergies à l’Est a rapidement rattrapé celle de l’ouest.

Le mode de vie que nous adoptons change les maladies dont nous souffrons.

Quelques années plus tôt, en Croatie, c’est l’historien des Sciences Miirko Grmek qui invente le terme de pathocénose : les maladies sont en concurrences les unes avec les autres et elles dessinent le paysage d’une époque. Des maladies disparaissent, d’autres apparaissent, certaines se concurrencent.

Notre mode de vie occidental a fait flamber trois maladies : les allergies, les diabètes et les MICI (maladies inflammatoires chroniques intestinales). Ce mode de vie a aussi permis de faire chuter la mortalité infectieuse et la pollution à grosses particules. Avantages et inconvénients.

Mais l’allergie c’est quoi?

Votre système immunitaire est le gardien de votre intégrité. Il trie entre ce qui est à vous et ce qui ne devrait pas être là. Il empêche les microbes et parasites de rentrer, ou du moins de rester actifs et il est chargé de détruire les cellules anarchistes de votre corps. Souvent il fait bien le job.

Parfois non.

L’allergie c’est une erreur de votre système immunitaire par excès et c’est une erreur vis-à-vis de substances extérieures à vous. Des trucs comme un kiwi, du caca d’acarien, du lait, du pollen… Que des trucs naturels hein 🙂

Car le problème ce n’est pas le kiwi, non.

Le problème c’est que votre système de défense a décidé, un jour, que certaines molécules du kiwi avaient quand même une tête de truc pas normal et que du coup il fallait s’en défendre.

Il s’est trompé, ça arrive.

Je détaillerai dans un autre épisode comment on devient allergique.

Une fois que votre système immunitaire s’est trompé il a tendance à vouloir faire mieux au fur et à mesure des rencontres : chaque crise d’allergie qui entraîne une inflammation allergique va se compliquer d’une fabrication de nouveaux anticorps, de nouvelles cellules mémoires et finalement vous allez être plus allergique.

J’en vois quelques uns qui se disent que c’était peut-être pas une bonne idée de laisser trainer leur allergie pour que leur système immunitaire devienne plus fort.

Je suis d’accord : votre système de défense a amélioré sa défense, vous êtes juste devenu plus allergique.

D’autant que l’inflammation créée par la crise a été l’occasion pour votre système immunitaire de se demander s’il ne devrait pas ajouter à ses défenses actuelles un ou deux autres trucs présents dans l’environnement en même temps : le poil du chat? oué pourquoi pas…

Et vous voilà désormais sensibilisé au chat, en attendant la crise d’allergie quand vous serez partis, puis revenus.

C’est l’occasion d’un point vocabulaire :

D’abord les allergènes : ce sont des antigènes spéciaux qui provoquent des allergies. Des petites molécules constituantes du vivant, des briques, vis-à-vis desquelles nous sommes capables de mettre en place une réaction d’allergie.
La liste en est restreinte, elle est accessible sur le site allergen.org

Les allergènes sont dans des sources de briques moléculaires : les pollens, la salive, un fruit, un débris d’acariens

et parfois dans plusieurs sources à la fois : pollen et fruit par exemple.
L’allergène majeur du noisetier, Cor a 1, est présent dans le pollen du noisetier bien sûr mais aussi dans la noisette, dans la pomme aussi et… la carotte et…

C’est le domaine passionnant des allergies croisées, nous l’aborderons plus tard.

Quand votre système immunitaire fabrique des anticorps ou des cellules contre un allergène mais qu’il n’y a pas (encore) de symptômes d’allergie, on dit que vous êtes sensibilisé.

Quand il y a des symptômes au contact de l’allergène : vous êtes allergique.

Quand après avoir été allergique, il n’y a pas de symptômes au contact de l’allergène : vous êtes tolérant.

La tolérance fait appel à la notion de dose seuil : vous pouvez supporter votre allergène tant que la quantité ne dépasse pas le seuil de déclenchement de la réaction d’allergie. C’est le monde merveilleux de la désensibilisation, induction de tolérance, immunothérapie allergénique et tout le tintouin.

Vous avez les grandes lignes, maintenant compliquons un peu les choses. Votre système immunitaire à plusieurs outils à sa disposition pour faire de l’allergie : des anticorps et des cellules, différents types d’anticorps et différents types de cellules.
Je vous présenterai les acteurs dans des épisodes à venir.

Malgré le grand âge de cette classification, 1975 , on a pas encore trouvé mieux que celle des britanniques Robin Coombs et Philip Gell. pour parler des hypersensibilités immunitaires : ils les ont classées en 4 familles de réaction et ce sont, en gros,

les quatre types d’allergies.

les allergies de Type 1 : les immédiates. Elles sont dépendantes des IgE, anticorps de la famille E. Les plus connues, les plus banales, les plus mortelles : acariens, pollens, arachide, etc. Elles surviennent en quelques minutes, une demi-heure maximum (sauf la viande mais bon nous verrons cela plus tard)

les allergies de Type 2 : les cytotoxiques. Votre allergène se fixe sur une cellule, le système immunitaire fait des anticorps pour dégommer l’antigène et explose la cellule avec. Ce peut-être par exemple le Schweppes que vous buez en terrasse qui se fixe sur les plaquettes du sang : oui ça existe. Le résultat c’est une destruction de vos plaquettes, éléments fondamentaux de votre coagulation, par votre système immunitaire. Le timing, c’est quelques heures.

les allergies de Type 3 : dites à immun complexes. Vous faites des anticorps qui vont faire une barrière autour de l’antigène, un gros tas d’anticorps avec l’antigène au milieu. C’est gros, ça ne passe plus les filtres alors ça fait des dépôts : dans les articulations, dans les reins, les alvéoles pulmonaires selon les allergènes. Par exemple, pour les sérums antivenimeux : on les fait fabriquer par des chevaux et on va les injecter à des humains. Lors de la deuxième injection, vous pouvez être devenu allergique au sérum du cheval et faire cette maladie allergique également appelée phénomène d’Arthus. Là aussi on est dans les 6 heures après l’injection d’anti-venin.

les allergies de Type 4 : cette fois ce sont des cellules qui font le taf : les lymphocytes. L’allergène est constitué par un morceau extérieur appelé haptène (le nickel par exemple) qui se fixe sur un fragment normal de votre corps (en l’occurence le keratinocyte, une de vos cellules de la peau). Comme toujours il y a d’abord sensibilisation (le système reconnait l’adversaire et prépare ses défenses) puis plus tard, lors d’un prochain contact : allergie. Mais là les lymphocytes, il faut les faire venir. Ils font leur balade sanguine tranquille et ah tiens, on me demande? Le signal de danger émis par les macrophages qui ont capté l’allergène les attire, ils vont voir. Oh ben tiens c’est nickel ça! Et les voilà qui créent une grosse inflammation locale en 24/48h que votre médecin appellera eczéma de contact.

Les allergies de type 1, ça donne donc des rhinites, de l’asthme, des conjonctivites, des urticaires (mais rarement isolées), des oedèmes, des chocs anaphylactique.

Bref, en général quand on parle d’allergie c’est de ça qu’on parle.

Les allergies de type 2 et 3, c’est plus des trucs rares : avec des médicaments (la quinine à la place du Schwepps), des serum, ou alors avec de la paille, de la fibre de coton, etc.

On en voit à l’hôpital et en médecine du travail, pas trop en ville.

Les allergies de type 4, ça donne de l’asthme (chrome, isothazolinone, parfums d’ambiance) et donc probablement des rhinites, mais évidemment surtout de l’eczéma.

En général c’est testé sur votre dos à la demande des dermatologues ou parce que votre allergologue suspecte un mécanisme de ce type dans vos problèmes.

Mais l’allergie qu’est-ce que ce n’est pas?

Vous vous piquez avec des orties, vous avez un bouton : vous n’êtes pas allergique à l’ortie, vous vous êtes injecté une toxine qui active vos mastocytes et vous faites un bouton d’urticaire.

Vous vous gavez de thon dans votre restaurant Japonais préféré et toute la table vomit, fait de l’urticaire, gonfle fait des malaises façon anaphylaxie ? C’est une scombroïdose. Ces poissons peuvent être très riche en histamine et vous déclencher « comme » une allergie mais cela n’a rien à voir avec le système immunitaire.

Vous avez un énoooorme bouton de moustique qui fait bien dix centimètres sur le mollet? Ce n’est pas non plus de l’allergie. Inquiétez vous si piqué au mollet vous faites dans les minutes qui suivent une urticaire généralisée, de l’asthme et un malaise.

Alors oui, si vous avez des inquiétudes sur une « réaction » parlez en à votre allergologue mais globalement l’allergie est un drame alors elle répond aux règles de la dramaturgie :
unité de lieu, unité de temps, unité d’action.

Je profite de ce moment pour remercier madame Peyrefiche, ma prof de Français du collège : vous voyez, j’ai au moins retenu ça.

Si à chaque fois que je vais chez mamie, je tousse, je siffle et j’ai les yeux qui gonflent et c’est un drame familial: je suis probablement allergique, mais probablement pas à mamie.

On résume.

Réagir à quelque chose, parfois oui, parfois non, plus ou moins : ce n’est pas de l’allergie.

L’allergie c’est une maladie de votre système immunitaire qui a reconnu par erreur des substances normales de l’environnement. Quand la dose en contact avec vous dépasse les bornes, vous quittez la tolérance et vous basculez dans l’allergie.

Dans l’allergie, le système immunitaire réagit la plupart du temps en immédiat, dans la demi-heure, avec rhinite, conjonctivite, asthme, urticaire ou anaphylaxie ou de façon retardée en 48h avec de l’eczéma.

Nous avons vu qu’il y a d’autres situations, semi-retardées, mais elles sont rares dans la vie quotidienne.

il y a de plus en plus d’allergiques, c’est certain et aujourd’hui plus aucun médecin ne nie leur existence.
La prévalence de l’allergie à 50% de la population pour 2050 ce n’est pas du bluff.
Dès aujourd’hui si vous demandez autour de vous vous trouverez pas loin d’une personne sur deux qui éternue au printemps, qui fait de l’eczéma aux bijoux fantaisie ou qui a une allergie alimentaire.
Simplement l’allergique qui évite son allergène : il va bien, ça ne se voit pas.

Dans le prochain épisode, je répondrai à vos souhaits en vous parlant de l’allergie aux animaux. Belle journée à vous les amis.